lundi 29 octobre 2007

JK Rowling et JC Götting

Jusqu’à hier, je me contrefoutais d’Harry Potter comme de mon premier bouton de varicelle. Cela continue d’ailleurs un peu aujourd’hui. Mais en voyant une pub pour HP et les reliques de la mort, j’ai réalisé que les couvertures de l’édition française du cycle de JK Rowling étaient de Jean-Claude Götting, illustrateur au style chiadé et sophistiqué et auteur de bédés pas très grand public, dont les amateurs de littérature pour adultes auront également croisé çà et là des œuvres :



Bien sûr, le style des couvertures d’HP est un peu moins expressionniste:



Mais qu’un énorme best-seller ait des retombées sur la carrière d’un illustrateur et peintre somme toute assez indépendant, c’est déjà suffisamment incroyable pour être signalé.

vendredi 19 octobre 2007

Pointer du doigt

Quand on parle de peinture ou de sculpture, mieux vaut prendre le maximum de précautions pour ne pas considérer comme une seule et même chose l’œuvre et son « sens » ou « explication », pour ne pas dissoudre complètement le sensible dans le linguistique et nier à priori la possibilité d’une intelligence non verbale Ceci étant posé, il paraît difficile d’imaginer une œuvre figurative indépendante du langage. De fait la figuration semble se trouver toujours en porte-à-faux entre la parole et la simple observation (on pourrait mentionner, à titre d’exemple dans l’histoire de l’art chrétien, la tension entre une figuration-récit destinée à faire comprendre les saintes écritures aux analphabètes, et une figuration-trompe l’œil beaucoup plus sensible).

C’est à ce titre que l’on pourra trouver fascinante la représentation de ce geste :


qui constitue une sorte de mise en abyme de ce problème, l'artiste montrant pour ainsi dire son pouvoir de montrer. En effet, les linguistes considèrent d’ordinaire la monstration, le fait de pointer du doigt, comme un geste associé à la deixis, action permettant de se référer à une chose en parole sans préalable, simplement en la désignant (dans cette perspective, dire « ce chat qui est là » revient à le montrer pour en parler). On trouve peut-être là l’une des raisons de la charge dramatique de ce geste en peinture, sculpture, théâtre, etc., et de son effet de réel.




Représenter un personnage dans une attitude de monstration a longtemps été utilisé comme un artifice pour renforcer l’aspect concret de la scène représentée. De fait, dans l’art religieux, ce geste sert souvent à insister sur le fait que les miracles ne sont pas un vain mot :


Crucifixion de Matthias Grünewald - XVIe


Salomé par Gustave Moreau - XIXe


Désigner du doigt l’indicible étant la seule manière de le communiquer, cet artifice permet d’affirmer simultanément la réalité tangible et le mystère des miracles. L’effet est encore plus vertigineux quand le doigt pointe vers un hors champ, ce qui est le cas dans des représentations à caractère politique au XXe siècle.

La célèbre affiche de l’oncle Sam, par exemple, qui aspire littéralement le troufion à l’intérieur de l’image pour le recracher sous les bombes au Chemin des Dames, est peut-être l'image la plus autoritaire de tous les temps...



De nombreuses statues de Lénine doigtent le néant. Ici, ce sont des lendemains qui chantent qui sont désignés, plutôt qu’un hors champ. Un artiste particulièrement retors a réussi à donner une apparence de matérialité à une notion parmi les plus abstraites : l’Histoire.


Enfin, l’œuvre qui m’a suggéré tout ceci, c’est cette sculpture énigmatique de Giacometti :



On dirait le Lénine de tout à l’heure, à la fin des temps, rongé par l’oxydation. Ce qui était montré n’est de toute évidence plus là, et il ne reste qu’un geste sans objet. Par la position du bras gauche, qui suggère elle aussi un geste de communication, ce vestige semble interpeller quelqu’un d’absent en même temps qu’il pointe le vide. Inquiétant.


lundi 15 octobre 2007

Complément du billet précédent

À propos de Li Eung-no, dont je parlais dans l'article précédent, en regardant de nouveau sa bio et ses dates, je me suis aperçu qu'il a exposé à new York dès 1957, et qu'il a vécu à Paris à partir de 1964. Il était donc confirmé dans sa carrière internationale en 1976, lorsqu'il peignait ceci:




... deux ans avant la toute première exposition de Keith Haring, auquel je l'ai comparé, si l'on en croit les dates avancées. Est-ce une simple convergence ou bien le second aurait-il vu les oeuvres du premier? (ça paraît toutefois bien improbable, mais sait-on jamais? En tout cas, l'identité graphique sur laquelle Haring puis ses ayant-droits ont basé leur démarche marketing, ne semble finalement pas si originale que ça...)

vendredi 12 octobre 2007

Artiste Coréen: Li Eung-no

Des petits bonshommes



Plus de petits bonshommes






Encore des petits bonshommes





Toujours plus de petits bonshommes



D'énormes foules peintes à l'encre. C'est le travail du peintre Li Eung-no, qui évoque une synthèse improbable entre l'art traditionnel et les personnages de Keith Haring (ce qui apparaît plus nettement quand on envisage l'évolution de l'oeuvre du coréen, perceptible dans cette chronologie)

jeudi 4 octobre 2007

Le Disque rayé

Ça recommence encore. Tous les jours, juste avant treize heures, juste après treize heures trente, avant vingt heures ou après vingt heures trente, depuis… je ne sais pas, une bonne saison. Toujours le même spectacle. Je marche dans l’herbe à flanc de colline, ou peut-être de volcan éteint, je marche parmi d’autres marcheurs : nous allons de nos pas subtilement accordés mais légèrement décalés, et nos directions semblent converger. Au loin, d’autres gens passent nonchalamment, disséminés de sorte que les plus distants n’apparaissent que sous la forme de traits noirs verticaux à peine visibles.

Je marche, sachant très bien que, deux secondes plus tard, je vais m’arrêter pour saluer un homme et son double du dimanche, une perceuse à la main. Je m’arrête, je salue un homme et son double du dimanche, une perceuse à la main. Mes lèvres ont à se fendre d’un sourire excessif, comme si je devais adorer tout ce vert salade alentour, comme si je croyais au naturel de ce ciel limpide et engageant. Je reprends ma marche et je sais parfaitement que je vais la croiser, la grande blonde permanentée avec sa voix synthétique. Bingo, elle est là à parler dans le vide, et son timbre atone de répondeur se dilue dans cette musique d’ambiance qui nous environne depuis le début.

Je n’ignore pas non plus que va bientôt se dévoiler, dans un repli du terrain, le grand portique sous lequel elles devront bien toutes passer, ces figures éclatantes de plaisir incompréhensible, ces autres marcheurs qui viennent seuls ou par petits groupes, de toutes les directions et chacun selon son pas, mais reliés entre eux par une secrète chaîne de solidarité. Voilà, je passe la butte et tout se passe comme prévu : comment pourrait-il en être autrement ?

Aucun décalage, même le plus infime, ne saurait être introduit dans cette mécanique. Il ne pleuvra jamais pour moi sur le flanc de la colline. Aucun coup de soleil ne flétrira non plus ces pâquerettes et ces arbustes moutonnants dont je dois me farcir la vue à chaque fois. Ce n’est pas l’enfer. Bien sûr, nous n’arriverons jamais à passer vraiment le portique, nous ne serons pas réunis de l’autre côté pour cette mystérieuse communion qui nous est promise. Mais après tout, ce ne seraient peut-être encore que quelques instants de convivialité surgelée ? De toute façon, il n’y a pas lieu de supposer des choses car tout est réglé comme du papier à musique du début à la fin. C’est ainsi, c’est mon seul rôle ici, dans les limbes de cette publicité pour un forfait illimité tous numéros tous opérateurs.