jeudi 31 janvier 2008

Liste de liens

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Puisque je commence à être un peu installé ici, j’ai essayé de composer un début de liste de liens.


Dans la catégorie des blogs, on retrouvera des liens déjà présents sur le Ramasse-miettes, plus quelques ajouts : par exemple un blog d’architecte très souvent mis à jour, à notre portée de pauvres non-architectes (enfin je parle pour moi). Incontournable également : la somme des conseils d' Aloysius Chabossot pour devenir un brillant romancier.


Par rapport à la Corée, je signale de nouveau cette abondante base d’œuvres du peintre moderne Yi Jung-seop (dont j’avais déjà parlé sur mon autre blog). Les pages sur Kim Hong-do (XVIIIe S) et Park Su-Geun (XXe S), offrent également de bonnes reproductions. Je n’ai pas encore trouvé de très beau site consacré à Jang Seung-eop, je mets pour le moment un lien pointant vers le petit article qui lui est consacré dans Wikipedia (avec quelques grandes images).


La liste des liens vers des sites graphiques ou picturaux devrait s’étoffer au fur et à mesure. Aux amateurs de lumière crue et de trous d’ombre fascinants, je recommande le site de Patrice Giorda :






À voir en priorité aussi, une abondante base d’estampes de Kawase Hasui, avec présentation en anglais.


Certains seront peut-être surpris de trouver Nanarland immédiatement à la suite de Fabula. Je ne tiens pas à m’expliquer sur mes contradictions esthético-neuro-physiologiques pour le moment.


Et puis, je ne l’ai pas mis dans mes liens (Y a des limites à la déconne, quand même), mais je vous incite vivement à découvrir le vrai kitsch révolutionnaire sur le site officiel orthodoxe en français idéologiquement non contaminé de la Corée du Nord (Le lien pointe directement vers un article savoureux) :


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Ne ratez pas non plus la rubrique "Beaux-arts" de ce site. Vous pourrez y lire:

"Let's See What We Have Here:
There are no products to list in this category."

Voilà, cette liste part dans tous les sens : tant mieux.

dimanche 20 janvier 2008

Pointer du doigt (2): monstration et regard conjoint.

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Dans un précédent billet, j’élucubrais sur la représentation de l’acte de monstration en peinture et en sculpture.

Ailleurs, je parlais de dilettantisme et de tourisme.

Voilà que je tombe sur une œuvre qui fait le pont entre les deux :






Des Touristes de Duane Hanson (plasticien dont on trouvera ici une rapide présentation).


Une œuvre, qui, au premier abord, ne semble pas de nature à provoquer en nous des transports lyriques. On la classera volontiers parmi celles des hyperréalistes américains de la deuxième génération, ceux qui font primer la technologie sur l’artisanat pour atteindre une mimesis à la mesure du spectateur moderne. Par une démarche voisine de celle de certains peintres qui recourent à la projection d’une diapositive sur la toile à des fins de photoréalisme, ce sculpteur réalisait des empreintes de corps vivants partie par partie à l’aide de bandes plâtrées, ce qui lui fournissait un moule où couler du polyester, dont il renforçait la solidité en ajoutant des fibres de verre. Les figures étaient ensuite soudées, puis peintes et équipées de perruques, d’habits, d’objets, voire d’éléments d’environnement. Une démarche un peu à la croisée du pop art et du ready-made, donc, anti-esthétique et à portée sociale revendiquée. (Ici, une version différente des Touristes, ainsi que d’autres travaux).

Un réalisme qui aurait rompu radicalement avec la sorcellerie que nous prêtons à la statuaire antique, donc, et qui hériterait de l’illusionnisme comme outil purement critique ?

Il reste que l’environnement, le contexte où sont censés apparaître ces personnages, ne peut être qu’évoqué, et que la portée de leur regard nous échappe. Il s’esquisse un regard conjoint avec le spectateur, qui se perd dans l’invisible.

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(25 01 08)

Le point commun entre monstration et regard conjoint, ce serait leur fonction d’embrayeurs : les deux permettent au discours de prendre en charge des objets ou des états de faits (non-linguistiques), simplement en dirigeant vers eux l’attention de l’interlocuteur.

D’autre part, le fait de montrer et la mise en place d’un regard conjoint avec les parents sont considérés comme des étapes incontournables du développement du langage chez l’enfant (voir par exemple les travaux d’Evelio Cabrejo-Parra). Ce type de figures énigmatiques pourrait donc également nous renvoyer à un état de compréhension partielle du monde, où la langue maternelle demeure dans sa plus grande part un mystère.

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Le regard des statues : voilà un motif que la poésie a au moins autant développé que les arts plastiques (voir les parnassiens, les symbolistes, « l’implacable Vénus » qui « regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre » dans le Spleen de Paris …). Le mythe de Pygmalion en donne une clé d’interprétation assez simple : on guette une lueur dans les yeux de la figure car on espère qu’elle va se mettre à vivre – on est alors plus attentif à ce qui se passe en elle qu’à ce que désigne son attitude.

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(25 01 08)

Fait intéressant, dans un poème « à Théophile Gautier », Banville fait de la strophe une statue :


Les Strophes, nos esclaves / Ont encore besoin / D'entraves / Pour regarder plus loin.

Les pieds blancs de ces reines / Portent le poids réel / Des chaînes / Mais leurs yeux voient le ciel.


Statue qui contemple « le ciel » pour les Parnassiens, et on « ne sait quoi », pour Baudelaire : on voit bien le désaccord qui les oppose sur le caractère explicite ou différé de la signification du symbole.

(Présence du motif des pieds entravés – que l’on retrouve chez Giacometti)

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Si à l’inverse, on est plus intéressé par la portée du geste ou du regard, on retombe sur l’énigme de la monstration dans l’art figuratif, dont l’Homme au doigt de Giacometti est de mon point de vue la quintessence, mais dont d’autres sculptures du même artiste visent le choc :




Cet Objet invisible (1934), par exemple, qui précède de peu la rupture entre le sculpteur et les surréalistes (sur un désaccord profond entre volonté de figuration d’un côté - Giac. - et de transfiguration de l’autre). Face à cette œuvre inspirée des arts premiers, trois éléments symboliques sans élucidation attirent le regard du spectateur : les pieds entravés, les mains pétrissant le dit objet (pour nous le vide) et le regard aveugle ou médusé – plus un oiseau posé au bord de la chaise. Par des procédés rhétoriques, l’artiste inclut dans son travail un espace dont personne ne peut s’approprier le contenu, à moins de renoncer à la signification de l’œuvre et de déclarer tout simplement vide cet espace. Quelque chose qui ne peut faire partie intégrante de l’œuvre lui est par conséquent rapporté, mais dans ce mouvement même, le spectateur en est frustré.


Qu’en est-il du réalisme américain ? Ses figures sont généralement assimilées à des représentations de la vacuité et de la dépression (mélancolie moderne) liée à l’impersonnalité des grandes villes. Mais n’ont-elles pas également quelque chose du Sphinx ? Considérons par exemple ces deux tableaux de Hopper :







Le deuxième en particulier reprend de manière troublante la composition de l’Apparition de Gustave Moreau - figure droite, nappe de lumière, verticales de l'arrière plan. Contemplons nous simplement la misère (affective) d’une individualité moderne se réfugiant dans des utopies auxquelles elle ne croit plus vraiment (regard perdu dans le vague), ou bien une figure qui conserverait malgré tout un certain aspect sculptural, l’énigme du regard ?





Ce qui nous ramène finalement à Hanson : la révolution naturaliste contre une statuaire mythique et symboliste peut-elle aller jusqu’au bout ?

L’air illuminé des touristes désigne bien un objet invisible, qu’ils s’apprêtent à immortaliser à l’aide de l’objectif photographique (qui devient du même coup lui aussi un œil ouvert sur un espace vide).

Bien sûr, l’œuvre, c’est d’abord cette caricature mettant en valeur la laideur et le ridicule de ces deux spectateurs fascinés par on ne sait quelle beauté (ou kitscherie). On peut se borner à en rire, sûr de sa supériorité d’amateur averti.

Mais l’air con de ces touristes, c’est peut-être celui de quiconque aujourd’hui tente de s’émerveiller au premier degré, sans résidu critique : une posture où nous nous sommes tous trouvés, en voyage, au cinéma, ou plongé dans la lecture d’une bédé.

Nous ne pouvons donc à mon avis nous limiter au simple contenu de ces figures : ce à quoi elles renvoient paraît tout aussi important. Car malgré son reflet de bêtise, ce regard naïf pourrait, en même temps, représenter l’utopie du spectateur critique (l’immédiateté).



mercredi 9 janvier 2008

Tu l'as vu? - Quoi? - Mon...

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Une photo de Simone de Beauvoir à poil rendue publique par une Tartufferie du Nouvel Obs a fait réagir pas mal de monde, par exemple ou ,

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À présent (11-01), les explications du photographe et sa réaction au fait que la photo ait été retouchée se trouvent en ligne sur ASI.

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Au-delà de ce qui a pu irriter les féministes dans cette image de leur icône nue de dos, je me demande si cette indignation ne reflète pas un certain vertige face à l’abîme que creuse l’effondrement, qui n'en finit pas, du portrait traditionnel (et l'hypertrophie que cette forme subit par contrecoup dans la publicité).

C’est devenu un lieu commun, que la presse people et les sites de partage d’images ne cessent de réaffirmer : le corps de n’importe qui, dans n’importe quelle position et situation, peut être publié n’importe où. Quand il s’agit d’un « intellectuel », nous avons tendance à nous agripper de toutes nos forces au visage, ce lieu où est censée transparaître une intériorité mythique (moins ce visage exprime effectivement de choses, et plus nous serons contentés). Aussi, plus ce visage s’éloigne, plus nous estimons que l’intellectuel est en vacances, ou soumis aux contingences d’une vie pratique. Il existe un cas d’école où l’imagerie suit la carrière d’un écrivain :







Rimbaud poète – Photo de Carjat à Paris – 1871.






Rimbaud plus poète – à Harar.

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Deux iconographies totalement opposées s’offrent aux biographes de Rimbaud : que des portraits pour la période de création (plus quelques dessins d’amis et le tableau de Fantin-Latour, portrait de groupe); que des photos où il est à peine reconnaissable dans le paysage pour la période de silence. L’époque de Rimbaud, c’est aussi la charnière de la modernité photographique (la photo s’émancipant de la peinture et mélangeant les genres - la peinture s'émancipant d'elle même, avec moins de certitudes sur sa destinée).

À l’heure où l’image d’un écrivain en chaussettes peut apparaître n’importe où en temps réel sur Internet, peut-être entre une photo d’un lapin sodomisant une poule et une vidéo d’otage égorgé par des encagoulés verts, cet écrivain devra-t-il passer par l’ascèse de l’anonymat et de la défiguration (iconographique) totale pour pouvoir sortir des barreaux de sa carcasse (« Je est un autre », etc.) ?

Signalons au moins un aspect positif de ce phénomène : la mise en place d’un culte de la personnalité est de plus en plus précaire (mais quand on a vraiment les moyens de s’organiser, alors là… Quel feu d’artifice ! On n’en est pas encore débarrassés !)



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Autre exemple: cette rencontre paradoxale du portrait d'écrivain et de la photo de faits divers, avec ces images mortuaires du romancier suisse Robert Walser mort gelé au cours d'une marche dans la campagne (retrouvées dans l'archive du blog de P Assouline):






Je ne sais pas si un éditeur choisirait ce portrait pour orner le quatrième de couverture des Enfants Tanner, pourtant, c'est dans ce roman si je me rappelle bien, que l'on trouve une scène étrangement prémonitoire où l'un des personnages est retrouvé sans vie dans la neige.

(18-01-08)

lundi 7 janvier 2008

Bouvard et Pécuchet et le Lotus bleu.


Bonne année aux éventuels visiteurs, le hasard a voulu que du point de vue de mes lectures, 2008 commence avec Bouvard et Pécuchet de Flaubert.

Les héros de ce roman fonctionnent ainsi : gratte-papiers devenus rentiers désoeuvrés, un objet minuscule, un évènement insignifiant provoquent en eux une illumination qui les conduit à aborder de front et en amateurs un champ disciplinaire qui les dépasse (sciences, religion, techniques…). À la suite de quoi des séries de déconvenues relevant de la loi de Murphy les découragent. Ce qui ne les empêche pas de répéter ce scénario indéfiniment. Ils en veulent pour leur argent.

Aux côtés de l’agronomie, de la médecine, de l’archéologie, du théâtre, du spiritisme ou de la philosophie, je me suis pris à imaginer comment l’auteur aurait pu les faire se prendre de passion pour l’orientalisme. Leur lubie, à mon avis, serait partie de l’image d’un toit. D’un de ces toits à pentes brisées qui évoquent l’Extrême-orient aussi immédiatement que la tour Eiffel signifie Paris (ou Las Vegas… ce sont les aléas de l’identité).

Par exemple, celui de cette partie du palais Gyeongbok à Séoul:





Ou bien de ce temple récent en béton à Osaka:






Voici une forme architecturale qui s’est donnée comme une évidence en Chine, au Japon et en Corée et n’aura été remise en cause que par les bouleversements industriels historiquement récents (elle se perpétue d'ailleurs encore sur les temples). Malgré un rapport de familiarité à l’intérieur de cette aire géographique, de nettes variantes apparaissent selon la communauté linguistique qui a bâti les édifices. Ainsi, on pourra souvent identifier le lieu d’une photographie à la forme des toits :





(Petite tentative personnelle de classement, qui ne vaut pas grand chose, comme toutes les typologies : en fait, les bâtisseurs font montre d’une grande créativité dans l’adaptation de ces formes à la fonction et au sens symbolique de l’édifice : retrouver une forme commune là-dedans semble aussi difficile que de remonter jusqu’au visage universel d’une lettre à travers l’ensemble de ses occurrences dans l’écriture et la typographie – tout au plus peut-on s’étonner de reconnaître.)

Ces variations culturelles sur un même motif peuvent appeler une multitude d’analyses à partir d’une multitude de grilles : avantages fonctionnels du schéma de base (ruissellement de la pluie, surplomb délimitant une zone abritée intermédiaire sur le pourtour de l’habitation…), ou bien construction de l’arbre philologique d’un langage architectural dont l’origine se trouverait en Chine et comparaison avec l’expansion des langues, recherche des relations de cause et conséquence entre forme de l’habitat et rites et coutumes, ou encore entre motifs architecturaux et écriture (Le caractère chinois 入, un des quatre ou cinq dont j’arrive à me rappeler sans dictionnaire, signifiant « entrer » en sino-coréen, et tirant sans doute sa forme du toit d’un domicile.), recherche idéaliste de l’esprit d’une culture dans la forme de ses produits, quête hasardeuse d’une structure inconsciente universelle censée se trouver dans tous les toits du monde, de sources d’inspiration dans la nature (selon le même genre de logique que pour la formation des idéogrammes), j’en passe et des meilleures…

Toutes ces pistes pourraient amener à des explications plus ou moins intéressantes, mais même les meilleures laisseraient sans doute un goût de trop peu : on aurait aimé éprouver la participation de ce genre de choses à une culture presque comme des sortes de coutumes palpables, et voilà qu’on réduit l’objet de notre intérêt à un produit de la culture, et qu’on le fait tomber sous le sens. À mon avis, un touriste se trompe s’il pense admirer des objets : ce qui l’émerveille, c’est la continuité entre des objets emblématiques et une langue étrangère (harmonie qui renvoie dans la plupart des cas à une époque révolue).


Il me semble qu’aujourd’hui, on pourrait croiser Bouvard et Pécuchet dans un cours de langues o’, ramant sur la grammaire, incapables de dire « passez moi le sel » et se gargarisant de culture tout en se rêvant habitants d’une maison traditionnelle à l'autre bout du continent…

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Je suis tombé par hasard sur ces mots d'Aragon à propos des objets usuels:

"Il y avait des objets usuels qui, à n'en pas douter, participaient pour moi du mystère, me plongeaient dans le mystère. J'aimais cet enivrement dont j'avais la pratique, et non pas la méthode. Je le quêtais à l'empirisme avec l'espoir souvent déçu de le retrouver. Lentement j'en vins à désirer connaître le lien de tous ces plaisirs anonymes. Il me semblait bien que l'essence de ces plaisirs fût toute métaphysique, il me semblait bien qu'elle impliquât à leur occasion une sorte de goût passionné de la révélation. Un objet se transfigurait à mes yeux, il ne prenait point l'allure allégorique ni le caractère du symbole; il manifestait moins une idée qu'il n'était cette idée lui-même. Il se prolongeait ainsi profondément dans la masse du monde." - Le Paysan de Paris (roman sur lequel j'avais calé il y a longtemps, au bout de très peu de pages).

il manifestait moins une idée qu'il n'était cette idée lui-même: il est question ici du vertige du moderne , mais s'agirait-il du même ordre de recherche, celle d'une naïveté qui serait en même temps le comble de la culture? - ce que le touriste semble percevoir sans pouvoir le saisir dans le rapport de l'étranger à ses objets quotidiens - (voir aussi les provocs de Duchamp).

(ajout 10-01-08)