lundi 19 novembre 2007

La couverture de l’Atlas Phaidon de l’architecture contemporaine.


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Phaidon est une maison d’édition anglaise très renommée pour ses livres d’art, toutes disciplines confondues, à laquelle on doit notamment un Atlas de l’architecture contemporaine mondiale qui constitue une référence pour bien des professionnels. En tant que non-autorité absolue dans ce domaine, je me contenterai de commenter la jaquette argentée, très élégante, qui frappe aussi par une certaine abstraction :





L’image est composée d’éléments provenant de divers projets, courbes de niveau du sol et représentations 3D en mode trame. On aperçoit aussi un globe contenant un fouillis d’ellipses. Le résultat est un enchevêtrement de lignes noires, blanches et grises, presque illisible pour le profane parce que la notion de surface en est écartée. Une utilisation décorative de documents qui évoquent plus le labeur quotidien de l’architecte que le rendu final de son travail (dont les éléments principaux sont, si je ne m’abuse, le plan, les façades et généralement des vues d’artistes qui emploient souvent la 3D, mais à des fins de simulation – la reproduction de l’armature tridimensionnelle du bâtiment sous un angle accidentel étant par ailleurs peu lisible). L'effet est double : familiarité pour les professionnels, ultra complexité pour les autres.

J’aurais tendance à comparer cet effet à la saturation à l’œuvre dans certains croquis nerveux et denses, comme ceux de Giacometti:




Ce faisant, ce sont un peu mes lubies qui parlent, il est vrai. Je justifierai en premier lieu ce rapprochement par la grande sensibilité de cet artiste à l’espace architectural (un regard de perspectiviste infaillible, à l’oeuvre surtout dans ses croquis, dont je n’ai malheureusement pas d’illustration très spectaculaire sous la main, la reproduction sauvage de ses œuvres étant limitée pour des raisons de succession en grande partie).


À la différence des problèmes de la sculpture, Alberto Giacometti a, je crois, peu formulé de considérations sur le trait de crayon ou de stylo. Si l’on se confronte soi-même au croquis, on pourra imaginer l’ordre de questions qu’il s’est posé : que doit-on représenter par des lignes ? Les arêtes visibles des objets ? Toutes les arêtes des objets (le mode armature dans l’imagerie 3D) ? L’ombre ? La lumière ? Uniquement les limites de l’objet, l’endroit où il rencontre le vide ? La différence entre l’espace vide et l’espace occupé par les objets (par un rapport de succession dans le dessin) ? Un objet mérite-t-il plus de lignes parce que sa matérialité serait plus évidente ? etc.


Dans sa période de maturité, Giacometti n’utilise plus jamais les hachures pour suggérer le volume, uniquement le crayon (ou le bic) et la gomme (qui réintroduit la lumière dans la confusion des traits). Il lève très peu la pointe de son outil de son support en dessinant.


On peut considérer ce travail sur la ligne comme une forme de mysticisme, la saturation extatique de la feuille relevant alors d’une transe qui entame « l’aventure au-delà du visible » d’où, selon Genet, Giacometti rapportait ses œuvres. Plus techniquement, on peut également y voir la trace du passage à la limite que constitue le noircissement d’une feuille sans lever le crayon, par l’exercice acharné de l’observation d’un objet, toutes les lignes perdant leur privilège individuel. Enfin, d’un point de vue plus terre-à-terre certains trouveront dans ce style chargé une performance athlétique, en raison de l’aspect quantitatif du résultat (beaucoup de traits = travail plus fouillé, c’est à mon avis un contresens).


En tout état de cause, le visible est remis en question, et il me semble logique qu’une esthétique comparable soit privilégiée pour illustrer les recherches d’une architecture contemporaine qui ne s’intéresse aux questions visuelles et à l’effet de façade qu’après avoir pris en compte les problèmes d’habitation. Cette couverture inviterait donc le lecteur non-spécialiste à parcourir les bâtiments au lieu de seulement les regarder (peut-être aussi essaie-t-elle un peu de remettre ce type de lecteur à sa place par un effet spectaculaire, mais ça, c’est une autre histoire.)

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