mardi 24 juin 2008

La Secte des collectionneurs

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Si l’on nous dit « secte », ce seront peut être les kitscheries du Mandarom ou de Raël qui nous reviendront d’abord à l’esprit : statue colossale de Gilbert Bourdin, ambassade des extra-terrestres, costumes de Zarathoustra astronautiques, etc. Si l’on ajoute « secte japonaise », on croira déjà sentir les vapeurs de gaz sarin. En regard de cette imagerie, la secte shinto Shinji Shumeikai, installée près de Kyoto, pourra nous sembler assez atypique.

Précisons le d’emblée : le phénomène sectaire est tellement banal dans cette région du monde qu’il ne provoque pas la même réaction épidermique qu’en Europe. L’émiettement des cultes a toujours été un état de fait au Japon ou en Corée (que l’on pourra comparer à la pluralité de nos ordres monastiques, qui dans la perspective laïque disparaît sous l’étiquette « Eglise »). L’originalité de Shinji Shumeikai viendrait plutôt de son universalisme esthétique qui rejoint parfois l’idéologie du Louvre (rapprochement pas tout à fait fortuit, puisque c’est à I M Pei, l’architecte de la pyramide de verre qui sert d’entrée au musée parisien, qu’a été confiée la réalisation d’une partie des locaux de la secte, les salles de son musée en particulier).

Bourrée de pognon, Shinji Shumeikai s’est offert un fond d’antiquités du monde entier : art égyptien, Iranien, Chinois... Collection où l'on trouve entre autres une statue du dieu Horus en argent massif, seul exemple de cette technique dans l’art égyptien, et un important bas-relief assyrien (source : Connaissance des Arts n°530, été 1996 – que l’on peut se procurer dans les bonnes poubelles de Vanves).





Mokichi Okada, le fondateur du groupe, explique cette pratique en ces termes : « A moins de rendre les autres heureux, vous ne pouvez jamais être heureux vous-mêmes. Il ne serait pas excessif d’appeler ce paradis terrestre, qui est notre idéal, le monde de l’art, car il s’agit du monde de la vérité, de la vertu et de la beauté, et c’est dans l’art que la beauté trouve son expression véritable. » (même source). Le sanctuaire n’est pas pour autant exempt de kitsch (une quête exclusive de la beauté saurait-elle l’être ?), mais on a au moins eu le bon goût de mettre une partie des fonds de la secte dans un rassemblement de valeurs sûres du marché de l’antiquité, exposables et revendables, au lieu d’investir dans l’au-delà extra-terrestre ou la course automobile.





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samedi 7 juin 2008

PS

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Toujours à propos du rêve, je voudrais juxtaposer une image de plus au texte de la dernière fois. Il s’agit de La Nuit, du peintre suisse Ferdinand Hodler (1853-1918), qui donne au sommeil un sens énigmatique et menaçant, s'inscrivant dans la lignée des allégories du cauchemar :





Dans un tableau, nous sommes entraînés à reconnaître, s’il y a lieu, une allégorie à partir d’un certain rapport entre la peinture et le titre. De tels procédés rhétoriques, nous le retrouvons dans de nombreux discours didactiques, quand ils optent pour le style « imagé ». Par ailleurs, des déplacements de ce genre peuvent se trouver à la base d’intuitions fécondes (représenter le temps dans l’espace, par exemple) : ce n’est jamais qu’une duplication de la question sémiotique – quelque chose réfère à autre chose. Par contre, on a vite fait d’accepter comme naturelles toutes les connotations associées à l’image choisie et d’autre part, quand une notion clé d’un discours est précisément le résultat d’un glissement de ce type, elle peut entrer dans des affirmations à la fois gratuites et incontestables à l’intérieur du système ainsi établi. En tout cas, ce n’est pas anodin de donner consistance à ce qui n’en a pas, c’est un cas bien particulier d’analogie, à repérer. Illustration de propos abstraits, ou rêve éveillé ?


PPS :

À propos du choix d’une peinture aborigène (cinq rêves), comme point de comparaison : de telles oeuvres se veulent la perpétuation d’une tradition artistique en partie rupestre, très ancienne et conservatrice, tournée vers un « temps du rêve », qui se confond avec les mythes des origines. Enfin, ce que j’en sais, c’est à partir d’une expo vue autrefois dans l’ex-musée de la Porte dorée (le musée colonial d’avant les délires chiraco-nouvelliens du quai Branly) et de bouquins : Religions Australiennes de Mircea Eliade ou L’Art des Aborigènes d’Australie de Wally Caruana (Ed Thames & Hudson).

J’ai trouvé aussi une page perso sur le sujet.


Clifford Possum Tjapaltjarri,
Lurrulurru Dreaming, 1989

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