dimanche 16 décembre 2007

Fonctionnalisme (2)

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En 1925, âgé de 38 ans, le Corbusier proposait son plan voisin de Paris:



Où la rive droite est remplacée par un alignement de fourmilières orthogonales dont la beauté austère ferait presque considérer le monde biscornu de Kafka comme distrayant.


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Aujourd’hui encore, même ceux qui font l’éloge de l’architecte-urbaniste suisse ne peuvent généralement pas s’empêcher de donner un petit coup de pied à sa statue en passant, et il n’est pas rare que l’on évoque sa part de responsabilité dans l’émergence de nos « cités à problèmes ». On ne peut nier par contre que la plupart des résidents de ses « unités d’habitation de grandeur conforme » affirment s’y plaire. Pourtant, quand on considère aujourd’hui des projets comme le plan voisin, on ne peut pas non plus donner entièrement tort aux pochetrons du vieux port qui, d’après certaines galéjades, seraient à l’origine d’un gentil sobriquet pour la cité radieuse de Marseille : « la maison du fada ». En tout état de cause, c’est en urbanisme, d’avantage encore qu’en architecture, que le Corbusier paraît rétrospectivement inquiétant, en raison surtout de son incapacité à imaginer le caractère traumatisant d’une ville dont le visage est le même quel que soit le point de vue d’où on la contemple.

Qu’il ait ou non été personnellement un maniaque de l’ordre, cela est le cas de nombreux architectes qui n’ont pas pour autant conçu d’utopies aussi cauchemardesques. Ce qui est sans doute plus révélateur, c’est la manière dont Corbu a cherché un fondement solide à son fonctionnalisme humaniste, avec par exemple une tentative de réforme du système métrique préconisant l’adoption d’une échelle basée sur l’être humain réel (mais pourtant universel…)



L’architecte a élaboré à l'occasion un canon comparable à l'homme de Vitruve de Léonard de Vinci, adapté à l’anatomie et aux besoins vitaux du travailleur moderne (dépouillé de sa singularité… - pour les besoins de la recherche ?).
La transgression du système métrique n’est pas anodine : au lieu de s’accommoder d’un lieu commun arbitraire (le mètre), ou de toute autre unité de convention, à partir de laquelle, à condition de la prendre comme telle, on peut construire ce qu’on veut, le Corbusier tente d’élaborer un système de mesure à la motivation forcée, le modulor. Pour retomber en définitive sur le nombre d’or : rapport de proportion privilégié, mais aussi passerelle entre les mathématiques et le mysticisme depuis Vitruve jusqu’aux peintres Nabis.

Voilà donc un cas où le fonctionnalisme, quête de rationalité par-delà l’arbitraire du langage, semble irrésistiblement attiré du côté de l’irrationnel.
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Dans le billet précédent, je parlais de Wittgenstein : peut-on rapprocher les cercles vicieux du fonctionnalisme des « pièges de la grammaire » que le logicien souhaitait mettre en évidence pour prévenir les excès de l’idéalisme ? N’étant ni philosophe de formation, ni architecte, urbaniste ou designer non plus, je ne me permettrais pas de généraliser ce propos.


2 commentaires:

François a dit…

Je me suis souvent dit à moi-même (et à M. Patouche) que le génie de Corbu est inversement proportionnel à l'échelle des travaux qu'il envisage. Quand il fait du design, c'est génial, quand il fait de l'architecture individuelle (villa Savoy) c'est très bien, quand il fait de l'architecture collective (cité radieuse) c'est juste bien, quand il fait de l'urbanisme (plan Voisin) c'est épouvantable.

Gilles F. a dit…

Ce n'est pas mal vu, ça se vérifie bien sur l'ensemble de sa carrière.