jeudi 4 octobre 2007

Le Disque rayé

Ça recommence encore. Tous les jours, juste avant treize heures, juste après treize heures trente, avant vingt heures ou après vingt heures trente, depuis… je ne sais pas, une bonne saison. Toujours le même spectacle. Je marche dans l’herbe à flanc de colline, ou peut-être de volcan éteint, je marche parmi d’autres marcheurs : nous allons de nos pas subtilement accordés mais légèrement décalés, et nos directions semblent converger. Au loin, d’autres gens passent nonchalamment, disséminés de sorte que les plus distants n’apparaissent que sous la forme de traits noirs verticaux à peine visibles.

Je marche, sachant très bien que, deux secondes plus tard, je vais m’arrêter pour saluer un homme et son double du dimanche, une perceuse à la main. Je m’arrête, je salue un homme et son double du dimanche, une perceuse à la main. Mes lèvres ont à se fendre d’un sourire excessif, comme si je devais adorer tout ce vert salade alentour, comme si je croyais au naturel de ce ciel limpide et engageant. Je reprends ma marche et je sais parfaitement que je vais la croiser, la grande blonde permanentée avec sa voix synthétique. Bingo, elle est là à parler dans le vide, et son timbre atone de répondeur se dilue dans cette musique d’ambiance qui nous environne depuis le début.

Je n’ignore pas non plus que va bientôt se dévoiler, dans un repli du terrain, le grand portique sous lequel elles devront bien toutes passer, ces figures éclatantes de plaisir incompréhensible, ces autres marcheurs qui viennent seuls ou par petits groupes, de toutes les directions et chacun selon son pas, mais reliés entre eux par une secrète chaîne de solidarité. Voilà, je passe la butte et tout se passe comme prévu : comment pourrait-il en être autrement ?

Aucun décalage, même le plus infime, ne saurait être introduit dans cette mécanique. Il ne pleuvra jamais pour moi sur le flanc de la colline. Aucun coup de soleil ne flétrira non plus ces pâquerettes et ces arbustes moutonnants dont je dois me farcir la vue à chaque fois. Ce n’est pas l’enfer. Bien sûr, nous n’arriverons jamais à passer vraiment le portique, nous ne serons pas réunis de l’autre côté pour cette mystérieuse communion qui nous est promise. Mais après tout, ce ne seraient peut-être encore que quelques instants de convivialité surgelée ? De toute façon, il n’y a pas lieu de supposer des choses car tout est réglé comme du papier à musique du début à la fin. C’est ainsi, c’est mon seul rôle ici, dans les limbes de cette publicité pour un forfait illimité tous numéros tous opérateurs.

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