mardi 1 avril 2008

Jules Boissières

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Aaah! l'Asie, l'Asie mystérieuse! ses chapeaux pointus, son opium, ses lettrés au regard doux mais aux ongles crochus, ses mers hantées de pirates acharnés, ses pandas assoiffés de bambou...

Hem! Hem!


Bref, je me replonge dans les interrogations qu’avaient soulevées les oppositions entre voyage et ethnographie, tourisme et initiation, dilettantisme et recherche, dans le billet Bouvard et Pécuchet et le Lotus bleu. De clic en clic, cela m’a conduit à lire du Jules Boissières, écrivain par qui le symbolisme a essaimé dans l’Indochine coloniale, et dont les carnets de voyage ont, en partie, conféré à cette région son caractère mythique (une occasion de se souvenir qu’un grand nombre des images qu’en tant que Français nous projetons sur l’Asie en général, viennent d’Asie du Sud – cette fois je ne parle plus uniquement de clichés, mais aussi d’imaginaire structurant).


Boissières m’apparaît comme une sorte de des Esseintes qui ne nourrit pas vraiment d’illusion sur l’exotisme mais l’entretient par dandysme et goût de l’artifice, tout en cultivant la nostalgie d’une spiritualité plus authentique, qui se donne en creux seulement. C’est parfois suranné mais jamais ridicule, l'inspiration oscille perpétuellement entre la poésie et le récit d'aventures:
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Au crépuscule, à l'heure de la promenade, un spectacle horrible m'a magnifiquement attiré : deux têtes de rebelles saignaient aux poteaux du marché ; l'une, défigurée, la mâchoire inférieure disloquée ; l'autre, belle dans sa pâleur encore fière, la tête du brave M... mort à vingt-six ans ; tous les Français qui l'ont connu pleurèrent cet ennemi....
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Triste, j'erre au bord de la mer, à travers ce vaste quadrilatère irrégulier, la plaine des Tombeaux. À l'ouest, des roches hérissées de végétation dure et sombre se profilent sèchement sur le ciel, ainsi que des décors de théâtre ; j'aime mieux regarder les abruptes collines courant au sud vers la haute mer, avec des creux où s'amasse l'ombre violette et des reliefs où la lumière se dégrade en merveilleuses nuances. La plaine est semée, parmi ses sables et ses herbes brûlées, de mares d'eau de pluie autour desquelles le gazon frais et vert abonde. Un rectangle fait de murs de briques encercle un champ où de petits mamelons, soigneusement rangés, s'alignent par centaines : c'est le cimetière des naufragés. Ces mamelons moutonnants, ce sont les tombes des marins perdus à la mer ; leurs âmes errantes trouveront un asile et n'iront point, par les nuits d'orage, tourmenter les vivants et mettre les jonques en péril.
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Un détail du texte qui m’a frappé : au moment où le narrateur commence à comprendre la mentalité des annamites à travers des discussions en compagnie de lettrés, il marque un pas en arrière, souhaitant préserver une part de sa naïveté de voyageur. Une insincérité de fond souvent présente dans ce genre de conversion, mais que les études orientales ont rendue aujourd’hui difficile à assumer (quoique… François Jullien a réfléchi là-dessus).

Signe du pouvoir de ce texte, le ministère des affaires étrangères s’en sert encore comme pub pour l’expatriation…


* Image extraite de l’album Le Mangeur d’archipels de Frank le Gall, une de mes bédés préférées, qui m’a entre autres choses fait apprécier quelques vers de Baudelaire, à dix ans…
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