Selon la légende, les estampes Ukiyo-e qui ont été à l’origine de l’engouement pour les « japonaiseries » en France dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, et ont durablement marqué les peintres impressionnistes et post-impressionnistes, seraient parvenues en Europe pour la première fois en servant de papier d’emballage à des marchandises.
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Vérification faite, la "légende" provient de l'histoire de l'art de Gombrich, chapitre 25 - sur le XIXe siècle.
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Toujours est-il qu’elles sont rapidement devenues objets de collection très prisés. Parmi ces images, les fameuses Trente-six vues du mont Fuji de Hokusai Katsushika :
Jeu de cache-cache avec un motif paysager récurrent, qui a connu des prolongements considérables dans la modernité naissante. Les montagnes Sainte-Victoire de Cézanne, par exemple, doivent sûrement quelque chose à la fréquentation de ces estampes. Joies d’Internet, on pourra aussi comparer l’intégralité des vues du Fuji-yama avec un des démarquages européens les plus nets de cette œuvre, les Trente six vues de la Tour Eiffel d’Henri Rivière, graveur français qui s’est vraiment voulu l’élève d’Hokusai :
Une substitution d’autant plus aisée que la forme de la Tour en construction et celle du volcan se répondent. Désormais, les deux donneront lieu à une multitude de symboles et de logos qui, parfois, seraient quasi-interchangeables:
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Fait digne d’intérêt, c’est au « paysage urbain » naissant que va se communiquer la logique des trente-six vues du mont Fuji. Difficile d’énumérer les tentatives inspirées de ce projet original. À mon avis, les vues de la Tour Eiffel peintes par Robert Delaunay (image 1, et 2) doivent autant au japonais qu'à Monet et ses cathédrales. Dans la littérature aussi, cette influence semble jouer, quand, par exemple, Proust organise la perception d’un village autour d’un repère identitaire, son clocher : « C’était le clocher de Saint-Hilaire qui donnait à toutes les occupations, à tous les points de vue de la ville, leur figure, leur couronnement, leur consécration. » (Du côté de chez Swann).
Encore aujourd’hui, quand on entend parler de repère symbolique dans un paysage urbain, on peut donc se demander si ce n’est pas la rencontre de l’exposition universelle de 1889 et des trente-six vues du Fuji-yama qui continue à nous inspirer…
- Ici, la Tour « Phare » prévue pour le quartier de la défense*.
(* Et là, en lice pour le même concours, un projet alternatif HQE qui tue la mort, injustement écarté par un jury timoré et réactionnaire – enfin, c’est pour rire…)
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4 commentaires:
Pour Proust, je trouve que tu pousses un peu. Le fait d'organiser un paysage autour d'un point culminant qui soit en même temps un repère identitaire, ça me paraît plus ici découler d'une logique du monument que d'une inspiration des estampes japonaises.
Logique du monument qui fait de certains édifices à la fois des repères géographiques et des repères identitaires, sur lesquels se fonde la mémoire collective - et chez Proust la mémoire individuelle. L'estampe japonaise me semble ici bien lointaine - même si elle participe également d'une logique monumentale - de l'univers proustien.
Sinon, très amusant ce rapprochement Tour Eiffel/Mont Fuji. Merci.
C'est surtout dans le "à toutes les occupations, à tous les points de vue de la ville", que je voyais la ressemblance. Ce qui est nouveau chez Hokusaï, c'est de cadrer le repère monumental en tout petit, au milieu d'une scène très banale: sous un pont, entre des perches...
Même les avocats ont été inspiré du mont Fuji? celle-là c'est une nouveauté. Par contre pour la tour Phare, connaissant les autres projets de l'architecte, je ne suis pas sûre bien qu'après une petite réflexion, elle pourrait l'être...
Hola hola! Je n'ai jamais dit que les logos tour Eiffel avaient été inspirés du mont Fuji, ni la tour phare. J'ai suggéré que la fonction de repère identitaire (urbain ou autre) avait été influencée par l'introduction des estampes d'Hokusaï.
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