vendredi 8 février 2008

Tiens! Voilà du naufrage! (suite du billet précédent)

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Toujours à propos des peintres à la grande guerre (enfin, c'est une façon de parler, je ne voudrais pas laisser entendre par là que je méprise celle de 39-45, qui fut tout aussi pétulante.)


Si l’on cherche des antécédents à ces visions crépusculaires, on pourra évoquer bien sûr les scènes du jugement dernier et de l’enfer.

Souvent, l'accent est mis sur l'aspect provisoire, fluctuant et accidentel du point de vue sur le champ de bataille (ici chez Kennington) :



Kennington (1888-1959)

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Pour la dispersion du regard sur les multiples éléments de l’univers militaire, l’éparpillement de détails sur le plan du sol, on pourrait donc également parler des scènes de batailles de Paolo Ucello (avec ce côté soldats de plomb, mais sans l’aspect joyeux et épique).


Mais si l’on cherche du côté des représentations profanes de désastres,

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Dix (1891-1969)



Vallotton (1865-1925)




Nash (1889-1946)

On remarquera sans doute qu’au cours des deux siècles précédant la grande guerre, le type de la catastrophe pour la peinture est peut-être d’avantage le naufrage, que le combat militaire.
Certains peintres se sont spécialisés dans ce sujet, tels Joseph Vernet (1714-1789) : lien 1, lien 2. Chez lui, il n’y a pas de bon naufrage sans éclairage de fin du monde.

Joseph Mallord William Turner (1775-1851), était également un obsédé de bateaux qui coulent. Cette passion a peut-être joué dans ses tentatives de saisir l’essence du crépuscule (les objets disparaissant peu à peu de ses toiles).
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Turner
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Mais la scène de naufrage la plus célèbre de l’histoire de la peinture est peut-être la toile de Géricault inspirée du naufrage de la Méduse. La catastrophe humaine y est plus précisément désignée : entassement, folie, (implicitement: cannibalisme)…
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En 14-18, l’entassement des soldats donnera lieu à des visions similaires :
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Nevinson (1889-1946)



Quant au thème de l’anthropophagie, le sacrifice d’un passager pour sauver le groupe a été une obsession du dix-huitième siècle, avec une dimension philosophique. Ainsi, on trouvera par exemple chez Helvetius (mon érudition est un peu aidée par les moteurs de recherche) :


« L'humanité publique est quelquefois impitoyable envers les particuliers. Lorsqu'un vaisseau est surpris par de longs calmes, et que la famine a, d'une voix impérieuse, commandé de tirer au sort la victime infortunée qui doit servir de pâture à ses compagnons, on l'égorge sans remords : ce vaisseau est l'emblème de chaque nation; tout devient légitime et même vertueux pour le salut public. »

(Discours sur les moyens de s'assurer de la vertu)
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Sans parler de filiation automatique, la question du naufrage aux XVIIIe et XIXe siècles semble voisine des interrogations que la guerre de 14 va radicaliser vis-à-vis de l’humanisme. Alors que le point de vue sur la guerre a changé du tout au tout.

3 commentaires:

BS a dit…

A propos du Radeau, c'est effectivement l'une des esquisses conservées au Louvre... : http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=8941
Plus optimiste d'ailleurs dans son esprit que le tableau final, mais c'est un autre sujet ! ^^

Anonyme a dit…

C'est juste, ils ont presque tous l'air encore vifs, sur l'esquisse. Alors la version définitive semble plus macabre.(Avec notamment le gars à l'extrême gauche qui semble mutilé à la taille).

François a dit…

Elle est vraiment bien cette base! Il faudrait en faire une pareille pour le conte de fées :-)
J'adore Vallotton.