dimanche 3 février 2008

Caractères chinois

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Dans mon billet sur les toits, j’ai parlé incidemment des caractères chinois. Sur la lancée, je vais consigner ici tout ce que j’en sais, ça me fera une page de définition dans le blog :


À l’origine, le chinois est une langue monosyllabique, on aura donc : un mot, une syllabe, un caractère - qui, quelle que soit sa complexité, s’inscrit dans un carré.

Au départ, n’y connaissant rien du tout, je rangeais tout l’alphabet chinois dans la catégorie des pictogrammes, aux côtés de l’écriture égyptienne (ce qui, je crois, constitue d’ailleurs une double inexactitude). En fait l’espace carré du caractère est le lieu d’une véritable écriture dans l’écriture, où l’on trouve :


1- Les pictogrammes, relevant du « dessin » au sens large du terme, qui représentent à peu près 2% de l’ensemble. Deux exemples canoniques :

雨 « pluie », où l’on peut observer de petites gouttes.
門 « porte », où apparaissent deux battants.


2- Les idéogrammes, plus proche du plan ou du symbole logique, sont encore moins nombreux. Deux exemples :

中 « milieu » (entrant dans le nom de la chine) : une forme – un cercle à l’origine – traversée d’un trait en son centre.
上 « dessus » et 下 « dessous », où la spatialisation est encore plus évidente.


Idéogrammes et pictogrammes occupent une position à la fois minoritaire et privilégiée. Tous les autres caractères sont des compositions élaborées à partir de ces catégories, toujours à l’intérieur du même espace carré – ce qui entraîne des réductions, des distorsions et des simplifications de la forme des lettres.


3- On trouvera donc une première forme d’agrégats, dont la logique peut facilement donner l’illusion que l’édifice de la langue chinoise est harmonieusement bâti sur une base de concepts simples. Par exemple :

信 « confiance » contient « homme » : 人 et « parole » : 言. Et là on se dit : bon sang ! Quelle simplicité ! Quelle transparence ! On doit pouvoir entrer tranquillement dans cette langue en allant du plus simple au plus complexe.

On continue donc, et l’on apprend que d’autres agrégats procèdent tout simplement par multiplication : 木 égale « arbre », deux « arbres » 林 signifient « bois » et trois « arbres » 森 égalent une forêt. C’est à se demander s’il y a besoin du dictionnaire où si l’on peut partir immédiatement pour l’Extrême-Orient les mains dans les poches.

Et puis voilà, on trouve aussi : 姦 qui est l’assemblage de trois « femme(s) » : 女. Et la multiplication des femmes ne signifie pas « harem » ou « gynécée », mais « adultère » : question de culture.

On aurait presque cru qu’il y avait vraiment un « homme » et une « parole » dans la notion de « confiance ». En revanche, que le mot « adultère » contienne le tableau de chasse de l’infidèle, c’est déjà plus difficile à croire. À noter que sur le plan phonétique, qui a dans un état archaïque précédé la notation graphique, il n’y a pas d’indice morphologique qui permette, par exemple, de rattacher l’arbre à la forêt.


4- Par contre, il existe des agrégats dont une partie joue un rôle exclusivement phonétique :

佛 « bouddha » contient une partie sémantique « homme » : 人 ainsi que 弗 (mot grammatical dont la prononciation correspond au nom du bouddha).

Et dans un cas comme celui d’ « interroger » :問 ou figurent « bouche » : 口 pour le sens et « porte » 門 pour le son, on aurait vite fait d’imaginer un roman sur la rencontre de la porte et de la bouche, alors que celle-ci est, selon le dictionnaire, fortuite du point de vue du sens.


* Tous les exemples cités proviennent du Dictionnaire des caractères sino-coréens de Li J.M, Jo H.K et Han C.S, éditions du Centenaire.


Ces agrégats, du strict point de vue de l’écrit, contiennent donc une forme de syntaxe, et relèvent manifestement d’un travail de savants sur la langue et non d’une logique de la langue même. Certains peuvent à leur tour entrer dans des compositions plus complexes. Pour éviter d’avoir quinze mille traits à tracer à chaque fois, les chinois (Mao) ont simplifié les signes qui se trouvaient être à la fois courants et compliqués.

En Corée, par contre, un autre alphabet est utilisé pour les échanges courants. Les caractères chinois étant réservés dans l’ensemble au domaine littéraire et scientifique, des formes plus anciennes et complexes ont été conservées, et l’on n’invente pas de nouveaux signes élémentaires. En revanche, on peut élaborer des néologismes à volonté en associant les caractères existants – pour former non pas des agrégats logiques, mais des mots de plusieurs caractères et plusieurs syllabes (les parents sont libres de créer des prénoms de cette manière, par exemple).

Accessoirement, cette récursivité que la composition des caractères chinois fait apparaître à l’écrit, à un niveau qui, à l’oral, est élémentaire (de seconde articulation), est un phénomène intéressant vis-à-vis d’une science sémantique moderne qui prétend ménager un accès au sens de manière plus directe que la lexicologie. En effet, de même que l’agrégat de caractères chinois peut donner l’illusion qu’un mot en contient d’autres, le linguiste peut se représenter le « sens » d’un mot comme agrégat de « traits sémantiques » (par exemple le mot garage contiendrait « ranger » et « voiture ») : mais il ne faut pas oublier ensuite que l'on n’a touché qu’à des mots, et que cela ne nous dit absolument rien d’un mécanisme de la signification qui serait à l’intérieur des mots, ou au-dessus, ou au-derrière…

3 commentaires:

BS a dit…

Wuw... très intéressant ! Merci !

Nicolas Legrand a dit…

Et les séchoirs à brocolis ?

Anonyme a dit…

Les séchoirs à broccolis, c'était au troisième siècle avant Flash Gordon.